Le jeudi 12 mai 2022
LAC DE BAIRON (08) - JAULNY (54)
144 KM – 19,4 KM/H – 7h24 de vélo - Dénivelée + = 940m
Je rédige ce récit à la terrasse du snack du camping «La pelouse» à Jaulny. J'avale un hamburger et une glace, tout en dégustant un bon demi bien frais. J'ai eu un peu de mal à monter la tente à cause du vent.... Et je discute avec la gentille patronne dont je suis le seul client ce soir.
Après une bonne nuit, je me réveille avec le jour et le chant des oiseaux.
Après une dizaine de kilomètres, me voici déjà au Mont Dieu, la Commune la Moins Peuplée des Ardennes.
15 habitants - 18,72 KM2
Maire : Anne Fraipont
Population maxi : 216 habitants en 1793
Altitude maxi : 325 mètres
Je continue mon voyage sur des routes calmes mais escarpées -ça devrait grimper plus qu'hier- mais toujours ce vent qui me pousse ! Moins fort qu'hier toutefois, mais quand même... Ensuite la route ondule légèrement et avec l'élan, ça grimpe tout seul ou presque.
J'arrive déjà dans la Meuse (55) entre Beaumont en Argonne et Stenay.
Dans ce dernier village, je fais une petite pause pour changer de tenue (il commence à faire chaud!), me rafraîchir et me restaurer. Cet arrêt, je le fais juste à côté d'un musée de la bière !
Quelle tentation... mais je résiste, j'ai d'autres rendez-vous.
Il fait toujours aussi beau. Qu'elle est belle cette France !
C'est l'heure du pique-nique et j'arrive à Ornes, la commune la moins peuplée de la Meuse.
6 habitants – 18,52 KM2
Maire : Charles SAINT VANNE
Population maxi : 1317 habitants en 1846
Altitude maxi : 372 mètres
Commune « Morte pour la France »
6 autres communes de la Meuse sont dans le même cas mais ne comptent plus aucun habitant depuis la fin de la Grande Guerre : Beaumont en Verdunois, Bezonvaux, Cumières le Mort Homme, Fleury devant Douaumont, Haumont près Samogneux, Louvemont Côte de Poivre.
La rivière Orne y prend sa source pour se jeter après 85 KM dans la Moselle à Richemont.
L'église saint Michel a été édifiée en 1932.
Village détruit – Mort pour la France – Croix de guerre 1914-1918
J'ai retranscrit le texte de panneau «Champ de bataille de Verdun» apposé près de l'église à l'emplacement de l'ancien village.
« Située sur la ligne de combat a été en totalité détruite par les multiples bombardements dont elle a été l'objet. A bien mérité par l'acharnement de l'assaut qui submergea ses ruines. Que son nom reste acquis à l'histoire. »
Paris, le 18 mars 1920, ministre de la guerre.
Une histoire
En patois local, Ornes se prononce «IOUNE».
Le nom «Pays d'Ornes» apparaît dès 812 dans un document de l'époque de Charlemagne. Le nom Ornes apparaît en 1049 – la ville d'Ornes – dans une bulle du pape Léon IX.
En 1848, Ornes est un bourg prospère qui compte 1318 habitants, 280 enfants sont scolarisés. Les garçons fréquentent l'école communale ou l'école libre du village. Les filles sont confiées à la doctrine chrétienne d'Ornes, les sœurs qui y enseignent sont remplacées en 1906 par des institutrices.Dans cette période un événement fait scandale : l'instituteur Hubert Marchal, retient les garçons à l'école pour les empêcher d'aller au catéchisme. Ce fait caractérise la vitalité du bourg où les débats et les controverses sont fréquents.
En 1875 , l'industrie cotonnière est florissant à Ornes. La filature de M. Meunier compte 46 employés et 260 tours à filer. Elle alimente 190 métiers à main installés à domicile. Ces derniers sont partout, dans les remises, dans les caves, dans les greniers et voient 500 personnes occupées.
Les villageois vivent également de l'agriculture.La vie des anciens comportent des habitudes et des usages qui témoignent d'une forme traditionnelle. Dans ces coutumes se reflète l'étroite solidarité paroissiale qui unit les hommes et les femmes au sein d'une communauté dynamique aux multiples activités.
Au printemps de chaque année une couronne de verdures, d'arbres fruitiers, de vignes et de fleurs entoure le village dont le vin a une certaine renommée. Avec des collines bien exposées, Ornes fournit des vins blancs et rosés très appréciés. Aux bonnes années, jusqu'à 40 000 litres de vin sont produits.
La population décroit au fil des années, Ornes compte en 1914, 750 habitants environ.
La Grande guerre et la destructionLe 31 juillet 1914, les gendarmes apportent au village les ordres de mobilisation. Cette dernière a lieu le 2 août 1914, la veille de la déclaration de guerre par l'Allemagne.
Le village connait une effervescence continue avec sa traversée par de nombreuses troupes françaises qui vont s'installer au nord de Verdun pour combattre l'ennemi. Le 25 août 1914, la population est invitée à quitter le village. Le plus grand nombre s'exode avec l'espoir d'y revenir très vite. Le village subit des tirs de l'artillerie allemande et deux enfants de la famille Collignon sont tués par un obus.
Les cavaliers Uhlans allemands effectuent des patrouilles à proximité et dans le village. Un habitant, M. Théophile Molinet est fusillé par les Uhlans qui obligent les derniers villageois à partir.
Dans la nuit du 9 au 10 octobre 1914, 74 habitants sont capturés par les Allemands puis déportés en Saxe (Zwickau).
De 1914 à 1916, Ornes est occupé par les troupes françaises. Au déclenchement de la bataille de Verdun, dès le 21 février, Ornes subit des destructions massives par les Allemands. Ces derniers s'installent en défensive ferme dans le village.
Ornes est un objectif permanent pour les Français qui veulent le reconquérir. Le village connait ainsi d'autres destructions commises par l'artillerie française. Après d'âpres combats, les troupes françaises s'emparent d'Ornes vers le 15 décembre 1916. Le village est totalement détruit.
Après la guerre
Après l'armistice du 11 novembre 1918, quelques habitants accompagnés d'officiers viennent se rendre compte de l'état du village. L'impression générale est qu'il est impossible de le reconstruire et Ornes est classé en zone rouge, compte tenu de la dangerosité du site le 19 décembre 1922.
La volonté d'une famille du village, les Saint Vanne, permet de redonner une vie à Ornes.
Les déportés en Allemagne de 1914 sont de retour à partir du 5 janvier 1915 et ce jusqu'à la fin de la guerre. 9 trouvent la mort en déportation.
Ornes est considéré «Village mort pour la France» et un maire est élu. En 2014, le maire élu est M. Charles Saint Vanne dont les arrière-grands-parents, les grands-parents et les parents ont connu la déportation en 1914.
En 2016, le village comprend une chapelle-abri et un monument aux morts inaugurés en 1932. Les vestiges de l'église, majestueux, témoignent de la densité des combats.Tous les ans, le dernier dimanche du mois d'août, la commune organise une cérémonie du souvenir pour se rappeler les sacrifices consentis par la population.
La fête patronale se déroule sous la protection de Saint Michel dont la chapelle-abri porte le nom.
Un «Village mort pour la France», donc. Mais contrairement aux autres communes dans le même cas, il reste quelques humbles bicoques reconstruites depuis la fin du premier conflit mondial.
Je pique-nique près de la chapelle-abri, de la fontaine et des panneaux commémoratifs.
Le plan du village, avec le nom des habitants, maison par maison, réalisé en 1917 par le maréchal des logis Laurent (un villageois d'Ornes ?) m'a particulièrement touché.
Tout ceci est très émouvant : un village qui compta plusieurs centaines d'habitants anéanti par la bêtise des hommes.
La leçon n'a, hélas, pas été retenue...
Je tourne le dos à Verdun, ce sera ma seule visite mémorielle, pour filer vers l'est. Je continue vers Etain où je fais quelques achats alimentaires. En effet, en regardant la carte, il me semble que je vais traverser quelque chose qui ressemble au désert français... Et j'ai vu juste.
La route continue d'être belle sauf avant d'arriver à mon jalon 3, Dommartin la Chaussée, deuxième commune la moins peuplée de Meurthe-et-Moselle. Je me trompe de route et me retrouve sur une route... pourrie, il n'y a pas d'autre mot. Je slalome entre les nids-de-poule avant d'arriver sur une grande route que j'aurais pu éviter en regardant mieux ma belle carte.
Mais, malgré le petit détour, j'arrive à Dommartin la Chaussée où de belles surprises m'attendent !
32 habitants – 2,71 KM2
Maire : Denis PETIT
Population maxi : 166 habitants en 1856
Altitude maxi : 262 mètres
Quelle surprise de voir à l'entrée de ce petit village situé dans le cou de l'oie (regardez la carte de ce département de Meurthe-et-Moselle et vous comprendrez...) une colonne de vélos érigée vers le ciel ! ou cette belle pyramide de jerricans...
Mais ce n'est pas tout, tout ici semble décalé, incongru, surprenant. Cela me fait immanquablement penserà la Fabuloserie, dans l'Yonne. Mais ce n'est pas réuni dans un endroit dédié, genre "Musée". Non toutes les oeuvres, j'ose le mot... sont disséminées dans le village !. De l'art brut ? De l'art rural ? De l'art villageois ?
J'en discute avec M. le Maire, un homme volubile et de bon sens. C'est lui qui installe au gré de ses envies, de ses trouvailles, ces objets qu'ils récupèrent et met en scène.
Un original ? Sans doute, mais surtout un édile qui fait vivre son petit village. Et un poète, à coup sûr.
J'ai réussi à planter la tente malgré le vent...
Et je vais manger au snack ouvert rien que pour moi !
Merci beaucoup pour cette belle promenade, cette rencontre,cette exposition artistique en plein air et pour le partage de ces "petits points de l’Histoire" où derrière des nombres se cachent tant de noms, de deuils et de disparitions...
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