" Les plus belles années de ma vie, je les ai passées à jouer de la bicyclette. Je les aime ces machines. Elles ne nous portent pas bêtement. Elles ne font que prolonger nos membres et qu'épanouir notre force..."
Jules ROMAINS
Après un 200 vers le nord au mois de février, me voici roulant vers le sud par ce mardi 2 mars 2021, avec un but : partir au Loing.Je me souviens d'une nuit de juin 2010 où nous avions erré, Pascal et moi, dans cette ville déserte au retour d'une randonnée de 400 kilomètres.
Voici d'ailleurs ce que j'écrivais à ce propos sur mon blog d'alors :
"(...) Après une pause de plus d'une heure, nous avons repris des forces, le vent est tombé mais nous savons que nous allons passer la plus grande partie de la nuit sur le vélo. Le terrain est accidenté mais la nuit est belle et le retour à La Ferté Gaucher se fait tranquillement, à part la traversée de Donemarie Dontilly qui fut comme il y a 8 ans un vrai casse-tête (Essayez de suivre des panneaux "Toutes directions" qui mènent partout sauf là où vous voulez aller, à 1 h du mat', dans une ville sans éclairage public...)"
Huit ans plus tôt, en 2002, sur le même tracé qu'en 2010, en sortant du cimetière à l'entrée de la ville où avions rempli nos gourdes vides, nous avions été accueilli par un riverain qui braquait sur nous sa lampe torche, nous ayant pris pour des pilleurs de tombes...
Mais aujourd'hui en ce petit matin, la traversée s'est déroulée comme sur des roulettes.
Ensuite la route à travers la forêt est jolie qui mène à la vallée de la Seine nous menant au sanctuaire Notre Dame du Chêne dans la forêt de Preuilly.Et je quitte la Seine et Marne pour le département de l'Yonne où je vais rouler quelques kilomètres seulement.
En 1930, Dédé Leducq enleva le premier Tour de France par équipes nationales. Le patron du Tour, Henri Desgrange, ne voulant plus des "combines" des équipes de marques, choisit cette formule qui lui permettait de reprendre en main la course et les coureurs. Pour financer cette révolution, il créa également cette année-là la caravane publicitaire. Cela assura à la Grande Boucle un succès qui dura jusqu'aux années 1960 avant que les équipes extra-sportives ne reprennet la main.
« Il est à
la rame! », nous répondit le manager Roger Graille, solidement campé sur une
passerelle en équilibre instable.
André Leducq, concurrent du Tour de France, était à la rame en effet. Avant
le départ, il avait eu des démêlés avec le moteur de son canot, des discussions
avec Bisseron sur la nature de la panne et avait décidé de ramener le youyou à
son port d'attache et à grands coups de pelle. Et il avait commencé la tâche
quand une idée lui vint qui devait être la solution du problème posé. Il examina
une bougie et eut tôt fait de retrouver l'étincelle. Le canot redevint
automobile. André Leducq et son beau-frère, puis Roger Bisseron venu le matin
pour la pêche, mirent pied à terre.
« Alors, on se repose vraiment, Leducq ?
- Oui et jusqu'à lundi prochain. On ne peut pas
être mieux qu'ici pour se reposer. C'est
le sommeil tranquille,
la pêche ; j'ai des copains : l'éclusier, le garde champêtre, tout le village, je crois
bien. Et quand on a fini de se reposer, on mange.
- J'ai les crocs ! » interrompt Bisseron.
Mme Leducq est venue — à bicyclette — rappeler l'heure du déjeuner. L'on atteint la petite maison dans la rue tranquille. La salle à manger fraîche ; la grosse palme bien dorée, trop dorée, compliquée d'un ruban large, trop large, et tricolore, qui porte la date du souvenir : le Bol d'Or de Béziers, en 1931. Dans un coin, un poste de T. S. F.« II ne marche pas, dit Leducq. Il faut qu'on l'arrange pour que ma belle-mère et mes beaux-frères et belles-sœurs — tout est beau dans la famille — entendent les parleurs pendant le Tour. Premier : Leducq avec trois quarts d'heure d'avance...
- Mais Leducq doit avoir sa petite chance, tout
de même?
- Ecoutez,
oui, peut-être. Je vais cependant
attaquer le sixième
Tour de France. Ça n'allait pas très fort l'an dernier. Mais j'ai
l'impression que la forme
revient. Elle y a mis le temps.
Mais elle revient. Je pensais bien que je ne resterais pas loqueteux comme cela
a pu m'arriver. Mais c'est ma course de dimanche dans
Paris-Belfort, qui m'a
fait comprendre. J'ai coincé un
peu sur la fin, mais j'en avais fait une
bonne partie. Et je ne tiens pas à être en pleine forme au départ. On a le
temps de s'y mettre.
- Alors,
confiance?...
- Eh bien, oui ! répond Leducq après une légère
hésitation. Ça n'est pas de la blague.
André écoute La TSF et songe qu'il sera bientôt écouté.
Délicate attention, on est venu jouer à André Leducq, sur le pas de sa porte, la « Chanson
du Tour ».
Je me sens bien, très bien, et
j'espère. Et M. Feuillet m'a trouvé bien, lui aussi.
- Et l'équipe
vous plaît ?
- Mais oui, tout le monde marche quand il le
faut. Celui que je connais le moins, c'est Barthélémy. J'ai couru avec lui,
mais je ne le connais guère. On n'a pas fait de présentations sur la route. On
me dit qu'il est fort. Il faut l'être.
- Et les cols ?
- On les montera aussi vite que l'on pourra. Ceux qui sont allés leur rendre visite y sont restés le moins possible. Ils ont tous grimpé l'Aubisque dans des temps-record. C'est épatant. Qu'est-ce que nous allons devenir avec des zèbres pareils, si on ne les calme pas d'ici-là !
— Ecoutez.
Leducq : lorsqu'on
cherche le gagnant d'une course hippique, on fait le papier. On examine
toutes les performances dans les grandes épreuves et on fait sa déduction. Ça
ne colle pas toujours ; mais c'est un procédé qui repose sur
quelque chose. Le papier
est formel. L'examen
des résultats des tours précédents,
étape par étape, donne deux favoris : Leducq et Demuysère, et pour les
individuels : Nicolas Frantz
et Benoît Faure. On ne peut
sortir de là.
— Ce
serait bien le tour de Demuysère. Je n'ai pas encore rêvé
que je gagnais le Tour de 1932. Je rêve pourtant. J'ai été toute la nuit en bagarre
avec Jean Bidot. Une drôle de partie de
cache-cache. Si j'ai le temps, j'irai
voir une liseuse dans le marc de café... »
Dans la rue peu large, une camionnette luxueuse est entrée, et le haut-parleur qu'elle porte sur son toit nous vaut, une fois de plus, la dernière peut-être, la chanson du Tour de France de 1931. On croirait à une mise en scène bien réglée. Notre voiture a simplement guidé la camionnette dont le conducteur a voulu faire une surprise à Leducq.
« C'est
déjà le Tour, dit ce dernier. On s'y prend d'avance, mais la chanson est en
retard. Dans huit jours, ça va être une autre musique. On rigolera moins... *
Et Leducq règle les derniers détails d'une pêche qui, ce soir,
au crépuscule, sera miraculeuse.
« Pas
besoin de bouteilles avec du carbure de calcium. Rien dans les mains, rien dans
les poches. On prend les barbillons à la loyale...
— Et
la semaine prochaine
des sardines de Nantes », fait
Bisseron.
Les roues tourneront, en effet, bientôt.
René
Bierre.
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